En face de l’eau agitée, se déploie une large plage de sable bordée par une falaise ocre.
La plage de Sidi R'bat a été pendant des décennies fréquentées par les nombreux pêcheurs de la région de Massa. Cette région, au sud d’Agadir, est depuis le Moyen-âge connue pour être un lieu de pêche.
Dans les années 90, il n’y a pas si longtemps donc, on avait certains matins cent cinquante bateaux qui venaient pêcher à Sidi R'bat, comme me le raconte Brahim, pêcheur natif du village.
Pourtant, lorsque je me promène sur la plage, je ne vois aucun bateau.
La roche colorée qui ceint la plage attire mon attention.
En me rapprochant je constate qu’elle est percée de grottes qui semblent aménagées. J’échange avec les quelques pêcheurs présents et découvre que ces refuges troglodytes ont été excavés par les pêcheurs eu-mêmes au début des années 1990. Ils m’expliquent qu’ils s’étaient à l’époque réunis pour se répartir les espaces et que chacun avait construit sa propre grotte à même la falaise.
L’idée initiale était d’avoir des stockages pour le matériel de pêche. Et aussi un lieu où se reposer l’après-midi, ou boire un thé, au plus proche de la mer.
Environ 50 grottes jalonnent la falaise de Sidi R'bat. Elles appartiennent toujours à ceux qui les ont creusées ou à leurs enfants. C’est le cas de Ali et Ahmet, deux frères tous deux pêcheurs qui ont hérité la grotte de leur père.
On m’explique que les grottes creusées à l’époque sont, désormais numérotées et répertoriées. Et que c’est maintenant très contrôlé, ce n’est plus possible d’en creuser des nouvelles.
Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus de pêcheurs à Sidi R'bat, pour une raison aussi simple qu’alarmante : il n’y a plus de poisson. Les causes de leur disparition sont diverses : pollution de l’eau par les villes voisines, réchauffement climatique, pêche au chalutier dans les grands ports à proximité.
Les pêcheurs qui, il y a encore 15 ans, vivaient de la pêche, doivent aujourd’hui trouver des alternatives ou partir. La grande majorité d’entre eux a quitté Sidi R'bat.
Parmi ceux qui sont restés, il y a Brahim qui pratique la chasse sous-marine au harpon, Ahmed et Ali qui se rendent de manière épisodique vendre leur force de travail dans des plus grands ports, Larsen qui est maintenant dans le bâtiment, après toute une vie en mer.
Quand ils ne travaillent pas, ils passent la majorité de leur temps dans leurs grottes, face aux embruns. Certains ont une maison au village, mais ils dorment régulièrement dans leurs grottes. Ils aiment être à l’écart du village au plus proche de l’eau.
«- Ici je suis tranquille. » me dit Ahmed, en me faisant goûter le délicieux tagine de poisson qu’il est en train de préparer. Il m’explique que depuis qu’il a divorcé, il vit complètement dans sa grotte, c’est bien aménagé, il y a des sanitaires et l’électricité, il est bien.
Brahim m’offre un thé, on discute, je comprends qu’il s’agit avant tout de liberté, de ne dépendre que de soi et des éléments, finalement.
«- La mer si tu la respectes, elle te donne, elle te donne de quoi bien manger et bien vivre ».
Ce jour là, la mer est haute et houleuse. M'Barak m’indique que chaque année il constate la montée des eaux. Bientôt la mer avalera en elle la falaise et aussi les grottes. Je me dis qu’ils sont courageux ces hommes qui dédient leurs vies à quelque chose d’aussi incontrôlable.
Larsen est heureux de voir les flots se déchaîner, c’était trop calme ces derniers jours. En partant, il me souffle :
« -Tu sais, il faut jamais trop lui faire confiance. La mer c’est comme un bébé, tu crois qu’il dort et d’un coup c’est la crise!"
Merci à Brahim, Ali, Ahmet, Ahmed, M'Barak, Larsen et Mohammed.